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Traumatismes : un côté caché du métier de journaliste

Combien de fois avez-vous entendu quelqu’un dire : « Je ne me tiens pas au courant des actualités parce que c’est trop déprimant » ?

Une chercheure et conseillère en traumatismes, Patrice Keats, a abordé la question d’une tout autre façon. Les innombrables images tragiques qu’elle voit dans les journaux, sur le Web et au téléjournal ont provoqué chez elle une réflexion. Elle s’est demandée comment les photojournalistes était eux-mêmes affectés par la prise de ces images. Son enquête est devenue un projet de recherche dont les découvertes vont certainement intéresser les journalistes et leurs employeurs.

Dans un premier temps, la fréquence à laquelle les photographes, les vidéastes et les reporters vivent des traumatismes n’est pas très bien comprise au Canada. Ce phénomène n’est pas du tout discuté ouvertement, particulièrement dans les salles de nouvelles.

« En général, les gens ne rapportent pas assez l’impact que cause l’expérience de photographier des scènes traumatisantes, écrit Madame Keats qui est professeure adjointe à la Faculté d’éducation de l’Université Simon Fraser à Vancouver.

Son étude, qui focalisait sur les photographes de presse et les vidéastes, révèle que les participants ressentent beaucoup les mêmes symptômes. Ils disent souvent avoir des problèmes de sommeil, des épisodes hallucinatoires, de l’anxiété, de la dépression, d’hypervigilance et de comportement obsessif. Il y avait aussi des manifestations physiques, comme des maux de ventre, des problèmes cardiaques et des évanouissements.

De plus, elle s’est aperçue qu’il y avait un fond de vérité au stéréotype du journaliste qui boit beaucoup, qui fume comme une cheminée et qui est un célibataire endurci. Keats a constaté, lors des entrevues de ses sujets, un autre effet commun relié à un traumatisme : la consommation d’alcool et de tabac ainsi que les problèmes de couple.

À la suite de la phase initiale de son projet de recherche, Patrice Keats a décidé d’étendre à tous les journalistes son étude sur l’impact des traumatismes. À la fin du mois d’août, elle avait eu des entrevues confidentielles avec une trentaine de photographes de presse, de reporters et de rédacteurs en chef. Tous, sauf un, étaient ou bien avaient déjà été des consommateurs d’alcool.

« Les journalistes ne se rendent pas toujours compte que la façon dont ils font leur travail et vivent leur vie est façonnée par leur réaction à un traumatisme », a confié professeure Keats à La Force-G.

« Un des journalistes à qui j’ai parlé venait de s’écrouler dans la rue », a dit Keats. Il était évident que cette personne avait « vécu plusieurs situations traumatisantes. »

Une fois rendu dans cet état, ajoute-elle, il est très difficile de guérir. Et pourtant, c’est parfois la première fois que le journaliste réalise qu’il a besoin d’aide ou d’appui après avoir vécu une expérience qui l’a traumatisée.

Les effets d’un traumatisme sont plus facilement reconnus lorsque le sujet a vécu une expérience comme un désastre naturel, une guerre ou un très grave accident.

La question est devenue cet été encore plus pertinente pour les membres de la GCM lorsque deux collègues de Radio-Canada, le caméraman Charles Dubois et le journaliste Patrice Roy, ont été blessés par une explosion alors qu’ils étaient en reportage sur le terrain en Afghanistan avec l’armée canadienne. On s’attend à ce qu’ils reçoivent toute l’aide dont ils ont besoin pour se remettre complètement de cette tragédie. La SRC a déjà commencé à faire sa part.

Charles et Patrice ont vécu ce que Keats appelle un traumatisme primaire, c’est-à-dire que leur vie et leur sécurité ont été mises en danger. Le traumatisme secondaire, aussi connu sous le nom de traumatisme de compassion, est un phénomène tout aussi réel que le premier type de traumatisme. Il se produit lorsqu’une personne est témoin de la souffrance d’autrui. Selon l’étude du professeure Keats, il s’agit d’une autre façon de vivre un traumatisme.

Interviewer les victimes d’un acte criminel, assurer la couverture d’un procès, être dépêché sur les lieux d’un incendie ou d’un accident de la route sont des déclencheurs d’un traumatisme secondaire. Ces incidents font partie du quotidien de plusieurs journalistes. Mais ils n’ont pas toujours le temps de digérer les événements car ils doivent respecter les heures de tombée ou travailler à leur prochaine affectation.

« Il vous faut environ six semaines pour vous remettre d’un traumatisme », dit-elle. Mais cette expérience et ses effets peuvent être ensevelis par tout ce qu’il y a à faire dans notre quotidien.

Une membre de la Guilde et journaliste à la Presse canadienne à Vancouver, Stephanie Levitz, a connu une année mouvementée. Elle a couvert une partie du procès de Robert Pickton, qui est accusé du meurtre de 26 femmes dans la région de Vancouver, et elle a écrit des profils des victimes. De plus, elle a fait un séjour en Afghanistan. Elle est revenue au pays environ un mois avant l’incident impliquant Charles et Patrice. Quelques jours avant l’incident, elle croyait qu’elle était revenue à la normale.

« L’incident de Charles et Patrice m’a complètement jeté par terre, affirme Stephanie. Elle a confié à La Force-G que le fait d’avoir écrit sur les femmes assassinées combiné à son séjour en Afghanistan avaient provoqués chez elle une sérieuse remise en question, dont une sur la pratique de son métier de journaliste.

« Il y a une frustration que tout ce qu’on fait est en vain », dit-elle. « Est-ce que quelqu’un est à l’écoute de ce que j’écris dans mes articles ? »

Une ancienne journaliste d’APTN, Karyn Pugliese, a dû s’efforcer de faire la paix avec l’idée que son travail n’allait pas faire une bien grande différence dans la vie des gens qui étaient dans ses reportages. Lorsqu’elle a réalisé un reportage sur les horribles conditions de logement dans la réserve autochtone de Gull River dans le Nord de l’Ontario, elle s’est sentie obligée d’avertir les gens qu’elle interviewait de cette réalité afin de ne pas créer de faux espoirs. Ce réseau de télévision est loin d’avoir la même portée que les autres au pays. De plus, il est très difficile d’attirer l’attention des Canadiens sur les enjeux qui touchent aux différentes communautés autochtones. Cette réalité était rendue encore plus difficile par ce que Karyn avait vu sur le terrain.

Les membres de la GCM interviewés dans le cadre de cet article nous ont dit que l’appui de leur employeur relativement à la question des effets de couvrir des événements traumatisants était inégal. Karyn nous a dit que tout dépendait de la personne qui était son superviseur. Stephanie composait avec la situation en discutant avec des collègues qui ont vécu des expériences similaires. Elle ajoute qu’il y avait, pendant les événements éprouvants, beaucoup de blagues de mauvais goût afin de relâcher la tension.

Lorsque la professeure demandait ce qui pourrait aider à mieux composer avec ces expériences et s’en remettre, on lui a dit qu’une pause à la suite d’une affectation éprouvante, même une journée de congé, pourrait être bénéfique. Keats croit que les journalistes et les employeurs doivent commencer à voir ces effets comme étant des réactions normales et naturelles aux traumatismes, au lieu de penser que les gens qui sont affectés par ces événements sont des mauviettes. Ce changement d’attitude ouvrirait la porte à davantage de soutien informel entre collègues et, ultimement, à un appui plus proactif des employeurs.

Les recherches du professeure Keats se poursuivent. Elle entend proposer des normes et un protocole pour les rédacteurs en chef et les employeurs afin qu’ils puissent porter assistance aux journalistes qui ont subi des traumatismes « car présentement cette aide n’existe pas ».

Voici des trucs sur comment composer avec un traumatisme et s’en remettre :

• Parlez à un bon ami ou collègue, particulièrement ceux qui auraient vécu des événements similaires au vôtre.
• Prenez soin de votre corps en mangeant et en dormant bien et en faisant de l’exercice.
• Évitez la surconsommation de nicotine, de caféine et de sucre.
• Assurez-vous de retourner le plus rapidement possible à un horaire stable et régulier et évitez les grandes décisions de vie avant d’être complètement rétabli.
• Faites des activités que vous aimez. Riez, relaxez, passez du temps avec vos proches, écrivez dans votre journal intime, adonnez-vous à vos passe-temps, priez, méditez. Tout cela peut aider au processus de guérison.
• Trouvez de l’aide. Si vos propres initiatives ne fonctionnent pas, appelez le Programme d’aide aux employés (PAE), votre médecin de famille ou votre superviseur. Dites-leur ce qui se passe.
Source: Shepell-fgi

Si vous voulez partager votre expérience en toute confidentialité dans le cadre des recherches de Patrice Keats, vous pouvez la contacter au pkeats@sfu.ca ou au 778 782-7604

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